Suggestion de recherche

LA NON-RÉTROACTIVITÉ DES LOIS : PRINCIPE ET LIMITES


LA NON-RÉTROACTIVITÉ DES LOIS : PRINCIPE ET LIMITES
Un des principes les plus importants d’un État de droit est la sécurité juridique. Ce principe implique que celui qui a pu compter sur une norme juridique, doit, en règle générale, être protégé lorsque l’État modifie ou abroge cette réglementation de manière rétroactive, mais également lorsqu’il le fait, éventuellement, seulement pour l’avenir.
Le législateur est tenu, pour le bien de l’État de droit, de ne pas édicter de normes juridiques rétroactives.

Alors c’est quoi La rétroactivité?
La rétroactivité est la caractéristique d'une norme juridique qui règle des situations nées avant son adoption. Elle est contraire à la sécurité juridique mais continue d'être utilisée dans certaines lois (en particulier fiscales) ou certains jugements, même si elle est de plus en plus encadrée tant par les jurisprudences constitutionnelle (Conseil constitutionnel) et conventionnelle (Cour européenne des droits de l'homme) que par la jurisprudence ordinaire.

I. -Le principe de non-rétroactivité
-Une loi est rétroactive lorsqu’elle s’applique à des situations juridiques constituées avant sa mise en vigueur, ainsi qu’aux effets passés de cette situation.

-La loi n’a pas, en principe, d’effets rétroactifs, ce qui signifie qu’une loi est sans application aux situations juridiques dont les effets ont été entièrement consommés sous l’empire de la loi ancienne. Il ne faut donc pas appliquer une loi à des actes ou des faits juridiques qui se sont passés antérieurement au moment où elle a acquis effet obligatoire. Une loi nouvelle ne peut modifier ou effacer des effets juridiques qui se sont produits sous l’empire de la loi ancienne.

Ex. 1 : La loi du 8 mai 1816 a supprimé, en France, le divorce.
Des époux qui ont divorcés avant la loi du 8 mai1816 ne peuvent voir leur divorce remis en cause. La loi ne peut pas remettre en cause des situations juridiques valablement créée sous l’empire de la loi en vigueur au moment de leur constitution.

Ex. 2 : La loi du 31 décembre 1917 a modifié l’article 755 du Code civil en matière de succession. Avant cette
loi, il était possible d’hériter d’un parent, jusqu’au douzième degré. Depuis cette loi, il n’y a plus, en principe, de vocation successorale au delà du sixième degré. Maintenant, imaginons une succession ouverte en 1916 et qui a été liquidée conformément aux prescriptions de la loi en vigueur. Le partage a été fait et l’actif successoral a été mis en possession e collatéraux du huitième degré. Il est clair que cette succession ne sera pas remise en cause par la loi de 1917 qui lui est postérieure.

-Le principe de non-rétroactivité est une règle qui apparaît non seulement rationnelle mais encore juste.
Il faut, en effet protéger la liberté de l’homme contre la loi. L’homme a besoin de sécurité juridique. or, il n’y aurait plus aucune sécurité si on pouvait remettre en question les actes passés par les individus conformément aux prescriptions légales.

Imaginons une loi selon laquelle les testaments doivent être faits devant notaire sous peine de nullité. Si la loi est rétractive, elle s’appliquera à tous les testaments antérieurement et à leurs effets passés. Toutes les successions découles par testament avant l’entrée en vigueur de la loi seront remis en cause. Si les dispositions testamentaires conféraient à X des immeubles, il s’en trouve dessaisi par l’effet de cette loi. Or, X a pu conclure, entre temps des conventions relatives à ces biens : ces opérations tomberont alors automatiquement.

De plus, on peut faire valoir que si les lois avaient un effet rétroactif, il n’y aurait plus aucun intérêt à les respecter. En effet, n’importe quelle prescription impérative pouvait être remise en cause, respecter la loi ne serait même plus un gage de sécurité. N’importe quel agissement, pourtant régulier, pouvant être remis en cause par une loi nouvelle et inconnue.

-Cependant, il ne faut pas exagérer la portée du principe de non-rétroactivité des lois nouvelles. En effet, ce principe ne s’impose en réalité qu’aux juges et aux autorités administratives. Il ne s’agit que d’un principe d’interprétation. En l’absence de dispositions transitoires, le juge doit appliquer la loi nouvelle sans rétroactivité.

-On peut d’ailleurs observer que les juges ne respectent pas toujours cette règle, notamment à l’occasion de revirement de jurisprudence. En effet, ces revirements vont s’appliquer aux litiges en cours.
Il y aura donc rétroactivité car les plaideurs ont constitués une situation juridique sous l’empire de l’ancienne jurisprudence et se voient appliquer la nouvelle jurisprudence. Mais il n’agit pas là d’une véritable exception dans la mesure où il n’y a pas, à proprement parler, de véritable loi nouvelle. En revanche, d’autres cas de figures apparaissent comme de sérieuses limites au principe de la non-rétroactivité des lois.

II. - Les limites au principe de non-rétroactivité
-A la différence de la Constitution de l'an III, le principe de la non-rétroactivité des lois ne figure pas dans notre
Constitution. Le Préambule n'impose que la non-rétroactivité des lois pénales. Aussi, ce principe de non-rétroactivité est un principe qui ne s'impose qu'au juge. Le législateur peut y porter atteinte, de façon directe en adoptant des lois expressément rétroactives (A), soit de façon indirecte, en adoptant des lois "faussement" interprétatives (B). Il faut noter qu'il est de mauvaise politique d'édicter des lois rétroactives, qui ruine toute sécurité juridique. Une particularité du droit pénal implique les lois pénales plus douces soient toujours rétroactives (C).

A - Les lois expressément rétroactives
• En matière pénale, il n’est pas possible d’édicter une loi expressément active lorsque la loi est plus sévère (nouvelle incrimination, aggravation de la peine, suppression de circonstances atténuantes…) Il s’agit d’une principe constitutionnel inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Le Conseil Constitutionnel veille à son respect et annule les lois qui y porterait atteinte.
• En matière civile, les lois expressément rétroactives sont possibles mais elles sont rares.
Elles interviennent souvent en période exceptionnelle.
On pourrait citer ainsi quelques lois prises à la Révolution, comme celle de 1794 qui a réformé le système des successions et déclarée applicable pour toutes les successions ouvertes depuis 1789 ! On a du refaire toutes les successions liquidées avec les principes nouveaux.
Il y eut aussi une loi du 27 juillet 1940 qui a exonéré les chemins de fer de leur responsabilité à l'égard des transports effectués depuis l'invasion allemande.

Ces lois exceptionnelles, rétroactives correspondent à des périodes à des périodes troublées de l'Histoire où il existe une volonté de faire table rase du passé.
Les lois ne sont rétroactives que si le législateur l'a expressément prévu.
Aujourd'hui ces lois sont très rares. On peut cependant noter, assez récemment, la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation comportant un article 47 disposant : «les dispositions des articles 1er à 6 s’appliqueront dès la publication de la présente loi, même aux accidents ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette publication, y compris aux affaires pendants devant la Cour de cassation».
La disposition donnant un caractère rétroactif à la loi est bien expressément exprimée.

B - Les lois interprétatives
-Une loi est interprétative lorsqu'elle vient seulement "préciser et expliquer le sens obscur et contesté d'un texte déjà existant" (Soc. 20 mars 1956) On considère alors que la loi nouvelle fait corps avec la loi ancienne, qu'elle n'est qu'une partie, un prolongement de la loi ancienne.
Aussi, la jurisprudence décide que la loi interprétative rétroagit au jour où la loi ancienne est entrée en vigueur. Ce procédé législatif est critiqué car le rôle d'interprétation n'appartiendrait qu'aux tribunaux et non au législateur et surtout parce que parfois, sous couvert d'interprétation, la loi "interprétative" ajoute à la loi ancienne qu'elle est chargée d'interpréter.

-Un tel procédé est assez contestable. Par définition, si le législateur éprouve le besoin d’intervenir, c’est parce qu’il n’est pas d’accord avec une interprétation jurisprudentielle : il change donc le droit existant.
Il a été utilisé lorsque le législateur voulait contrecarrer une interprétation jurisprudentielle qu'il contestait.
Cette intervention est limitée par le fait que la jurisprudence ne se considère pas liée par l'intitulé de la loi et vérifie si elle est bien rétroactive.
Le juge veille ainsi au respect du principe de non-rétroactivité.

C - Les lois pénales plus douces
-Lorsqu'une loi pénale plus douce entre en vigueur, soit parce qu'elle réduit la peine encourue, soit parce qu'elle supprime l'infraction ou une circonstance aggravante, par exemple, elle s'applique immédiatement à toutes les situations juridiques pénales, même nées avant son entrée en vigueur. C'est, ce qu'on appelle la rétroactivité "in mitius".
Les délits antérieurs sont jugés conformément à la loi nouvelle, car il semble normal de considérer que si une loi pénale nouvelle est plus douce, c'est parce que la sévérité antérieure n'a plus d'utilité sociale.
Si le législateur estime inutile de maintenir une sanction plus sévère pour un comportement délictueux déterminé, il n'y a aucune raison de continuer à l'appliquer à des délits antérieurs à la loi nouvelle.
Cette règle spécifique à la matière pénale a une valeur constitutionnelle et toute loi contraire serait donc annulée par le Conseil Constitutionnel sur le fondement de la l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

Aussi, le délinquant pourra t-il invoquer une loi pénale plus douce même pendant le procès.
La Cour de cassation annulera simplement la décision mais ne cassera pas la décision qui n'a pas violé la loi. Le 5 sept. 2000, la Chambre criminelle a rappelé la règle : « Les dispositions d’une loi nouvelle s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée ».
La Cour de cassation a, par exemple récemment, annulé de nombreuses décisions rendues avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000 modifiant l’article 121-3 du Code pénal sur les délits d’imprudence, dans un sens plus favorable aux délinquants.
Si la décision a acquis l'autorité définitive de la chose jugée, sa condamnation n'est plus remise en cause.