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Les droits des femmes au cœur des ODD : le rôle central de la CEDAW

L'égalité entre les sexes et l'autonomisation des femmes constituent un pilier fondamental du développement durable et de la justice sociale.
Auteur : LOMBI MUFURI Franklin, doctorant en droit public et sciences politiques.

Les droits des femmes au cœur des ODD : le rôle central de la CEDAW

Introduction

La promotion de l'égalité entre les sexes et l'autonomisation des femmes constituent un pilier fondamental du développement durable et de la justice sociale. La communauté internationale a établi deux cadres majeurs pour encadrer cette aspiration : d'une part, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et, d'autre part, les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés dans le cadre de l'Agenda 2030.

Alors que les ODD, adoptés en 2015, représentent une feuille de route mondiale orientée vers l’action pour améliorer les conditions de vie et réduire les inégalités d’ici 2030, la CEDAW, un instrument juridique universel adopté en 1979, est surnommée la Charte internationale des droits des femmes.

L'enjeu de ce cours est d'analyser la synergie entre ces deux dispositifs. Le droit des femmes n'est pas seulement un objectif isolé des ODD (ODD 5), mais une condition essentielle à la réalisation de l'ensemble des objectifs mondiaux. La CEDAW joue ici un rôle central, fournissant le socle normatif juridique sur lequel repose l'ambition opérationnelle des ODD.

Alors, comment la Convention CEDAW, en tant qu'instrument juridique contraignant, fournit-elle la légitimité et la substance normative nécessaires à l'opérationnalisation et au suivi des Objectifs de Développement Durable relatifs à l'égalité de genre ?

Pour répondre à cette question, nous examinerons dans une première partie (I), la CEDAW en tant que socle normatif universel des droits des femmes, définissant et interdisant la discrimination. Puis, dans une seconde partie (II), nous étudierons comment les ODD incarnent le cadre opérationnel de l'égalité de genre et renforcent la mise en œuvre de la Convention.

I. La CEDAW : Socle Normatif Universel des Droits des Femmes


La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1979 et est entrée en vigueur le 3 septembre 1981. Cet instrument principal est la base de l'engagement juridique des États à garantir l'égalité des sexes.

A. L'établissement d'une obligation juridique contraignante


La CEDAW repose sur la conviction que l'égalité des droits entre l'homme et la femme est réaffirmée par la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cependant, la Convention est née de la préoccupation que, malgré les instruments existants, des discriminations significatives envers les femmes persistaient.

1. La définition juridique de la discrimination

La CEDAW fournit une définition exhaustive de la discrimination.
Article 1 : Définition de la discrimination 

L'expression « discrimination à l'égard des femmes » désigne toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou tout autre domaine.

Cette définition, qui inclut l'intention ou l'effet, oblige les États parties à condamner la discrimination sous toutes ses formes et à mettre en œuvre sans délai une politique visant à l'éliminer.
Encadré explicatif : Distinction entre égalité formelle et réelle
La Convention reconnaît qu'il ne suffit pas d'assurer l'égalité dans la loi (égalité formelle). Les États doivent adopter des mesures pour assurer le plein développement et le progrès des femmes (Article 3). L'article 4 permet même l'adoption de mesures temporaires spéciales (par exemple, des quotas) visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait, tant que ces mesures ne conduisent pas au maintien de normes inégales une fois l'objectif d'égalité atteint.

2. Les obligations primordiales des États parties


Les États parties s'engagent à adopter un ensemble de mesures législatives, administratives et judiciaires pour assurer l'égalité. Parmi les engagements fondamentaux, ils doivent :
  • Inscrire le principe d'égalité entre hommes et femmes dans leur constitution ou législation nationale et en garantir l'application effective.
  • Adopter des mesures législatives et autres interdisant la discrimination, y compris des sanctions si nécessaire.
  • Instaurer une protection juridictionnelle effective et garantir que les tribunaux nationaux protègent les femmes contre tout acte discriminatoire.
  • Abroger toute loi, coutume ou pratique discriminatoire (y compris les dispositions pénales).
  • Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité des sexes, ou sur un rôle stéréotypé.

B. L'extension du champ d'application de l'égalité


La CEDAW impose aux États d'agir dans tous les domaines de la vie des femmes, y compris la sphère privée et familiale, et de prendre toutes les mesures pour éliminer la discrimination pratiquée par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque.

Les articles suivants détaillent les secteurs où l'égalité doit être garantie :

Vie politique et publique (Articles 7-8) : 
Assurer l'égalité de droit de voter, d'être éligible, d'occuper des emplois publics à tous les échelons et de participer aux organisations internationales.

Éducation (Article 10) : 

Garantir les mêmes conditions d'accès aux études, l'élimination de toute conception stéréotypée des rôles par la révision des programmes et l'éducation mixte, et l'accès à l'éducation permanente.

Emploi (Article 11) : 
Assurer le droit au travail, l'égalité des critères de sélection, l'égalité de rémunération pour un travail d'égale valeur, la sécurité sociale, et l'interdiction du licenciement pour cause de grossesse ou de statut matrimonial.

Santé et vie économique (Articles 12-13) : 

Éliminer la discrimination dans l'accès aux services de santé, y compris la planification familiale, et assurer des services appropriés et gratuits pendant la grossesse et l'accouchement. Garantir l'accès aux prestations familiales, aux prêts bancaires et hypothécaires.

Femmes rurales (Article 14) : 
Reconnaître les problèmes spécifiques des femmes rurales et leur rôle dans l'économie non monétaire, et leur assurer un accès égal aux services de santé, à la formation, aux coopératives, au crédit agricole et aux réformes foncières.

Mariage et Famille (Article 16) : 

Reconnaître l'égalité de capacité juridique de la femme en matière civile. Assurer les mêmes droits en matière de mariage, y compris le libre consentement, les responsabilités parentales (avec l'intérêt des enfants comme considération primordiale), le choix du nom de famille, de la profession, et l'égalité des droits de propriété des biens. Les fiançailles et les mariages d'enfants n'ont pas d'effets juridiques, et un âge minimal de mariage doit être fixé.

II. Les ODD : Cadre Opérationnel et Transversal de l'Égalité de Genre


Si la CEDAW fournit l'obligation légale, les Objectifs de Développement Durable (ODD) fournissent l'agenda d'action et les outils de mesure pour concrétiser cette obligation à l'échelle mondiale d'ici 2030.

A. L'ODD 5 : La traduction programmatique des exigences de la CEDAW

Les ODD représentent 17 objectifs fixés par l'ONU en 2015, couvrant une intégrale de défis allant du climat à la paix, en passant par l'énergie, la pauvreté et, bien sûr, l'égalité des genres.

1. L'Objectif spécifique de l'égalité de genre


L'ODD 5 est spécifiquement dédié à la réalisation de l'égalité des sexes et à l'autonomisation de toutes les femmes et les filles. Il reprend explicitement les domaines d'action dictés par la CEDAW, en les transformant en objectifs concrets.

Les cibles de l'ODD 5 incluent :
  • L'élimination de la discrimination envers les femmes.
  • La lutte contre les violences basées sur le genre.
  • La participation politique égale.
  • L'accès aux ressources économiques.
  • La fin des mariages précoces.
  • L'accès à la santé reproductive.

2. La complémentarité normative et opérationnelle


La relation entre la CEDAW et les ODD s'inscrit dans une dynamique de complémentarité.
Instrument Nature et Fonction
CEDAW (1979) Cadre juridique contraignant / Base normative imposant aux États un devoir légal d'éliminer la discrimination.
ODD (2015) Agenda d’action / Objectifs mesurables fixant des cibles concrètes à atteindre à l'horizon 2030.

L'adoption des ODD a ainsi permis de renforcer l'opérationnalisation des droits inscrits dans la CEDAW.
Exemple pédagogique : ODD, CEDAW et le suivi

La CEDAW requiert l'égalité des droits en matière d'éducation (Article 10). L'ODD 4 (Éducation de qualité) s'articule directement avec cette exigence. Les indicateurs de l'ODD 4 (par exemple, le taux de scolarisation et d'achèvement scolaire des filles) servent concrètement à mesurer les progrès exigés par la CEDAW. De même, l'ODD 5 mesure la proportion de femmes dans les parlements ou les postes de décision, permettant de vérifier la mise en œuvre de l'Article 7 de la CEDAW (participation politique).

B. L'égalité de genre : condition essentielle du développement durable


La logique transversale des ODD souligne que l’égalité des sexes est un principe qui doit « irriguer l’ensemble des politiques de développement ». L'atteinte de la totalité de l'Agenda 2030 est impossible sans progresser sur les droits des femmes.

L'égalité de genre est intégrée à plusieurs ODD cruciaux :
  • ODD 1 (Éliminer la pauvreté) : Les femmes sont souvent plus exposées à la pauvreté que les hommes. L'action en faveur de l'égalité est donc indispensable pour réduire l'extrême pauvreté.
  • ODD 3 (Bonne santé et bien-être) : Cet objectif inclut explicitement les questions de santé maternelle et reproductive, qui sont des droits garantis par l'Article 12 de la CEDAW.
  • ODD 8 (Travail décent et croissance économique) : Il est lié à l'égalité salariale et à la pleine participation économique des femmes, des droits fondamentaux inscrits à l'Article 11 de la Convention.
  • ODD 10 (Réduction des inégalités) : Cet objectif met l'accent sur l'autonomisation des femmes marginalisées, faisant écho aux préoccupations de la CEDAW concernant les femmes rurales (Article 14) et les femmes dans les situations de pauvreté.

En reconnaissant que les discriminations structurelles (telles que dénoncées par la CEDAW) entravent la participation pleine et efficace des femmes au développement national, les ODD confèrent aux engagements de la Convention une portée politique globale.
Encadré explicatif : Le rôle du Comité CEDAW
Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (composé d'experts de haute autorité morale et compétence) est chargé d'examiner les progrès réalisés par les États parties dans l'application de la Convention. Les États doivent présenter des rapports réguliers (initialement un an après l'entrée en vigueur, puis tous les quatre ans). Ce mécanisme de reddition de comptes est crucial pour maintenir la pression juridique, et les indicateurs des ODD aident à rendre ce suivi visible et mesurable.

Conclusion


La relation entre la Convention CEDAW et les Objectifs de Développement Durable est un exemple paradigmatique de la manière dont le droit international s'articule avec l'action politique mondiale.

La CEDAW incarne l'obligation juridique ferme et intemporelle pour les États de mettre fin à toute forme de discrimination de genre. Elle fournit la légitimité juridique et la cohérence normative nécessaires à toute action en faveur des femmes.

Les ODD, en particulier l'ODD 5, traduisent cette obligation en une feuille de route concrète et mesurable à l'horizon 2030. Ils permettent d'évaluer concrètement la mise en œuvre de la Convention grâce à des indicateurs précis dans des domaines vitaux comme l'éducation, la santé, le travail et la participation politique.

Pour conclure, l'égalité de genre n'est pas une option, mais une nécessité juridique (CEDAW) et une condition essentielle (ODD) pour que le monde atteigne un développement réellement durable, juste et pacifique. L'articulation entre ces deux instruments crée un cercle vertueux : la CEDAW fonde les droits, et les ODD les rendent opérationnels et mesurables, poussant ainsi les pays à adopter toutes les mesures nationales nécessaires pour assurer le plein exercice des droits reconnus.
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