
La fragmentation dans les relations internationales.
Elle s’exprime pour l’essentiel par la montée des nationalismes et des intégrismes et se manifeste également par une aggravation des inégalités économiques et de développement entre pays (Clivage Nord/Sud).
A) La montée des nationalismes et des intégrismes
Depuis la XIX° siècle, le nationalisme est une donnée
essentielle des relations internationales. Le
sentiment national, fruit direct de la révolution
française de 1789 avec son concept d’Etat-nation (à
chaque nation un Etat, à chaque Etat une nation),
substitue la nation au prince, au Roi.
Les
efforts politiques visant à affaiblir le sentiment
national (internationalisme prolétarien,
panaméricanisme, panafricanisme, panarabisme…) n’ont
pu venir à bout du fait national qui demeure encore
toujours vivace.
Le nationalisme s’épanouira dans l’impérialisme
européen (domination et supériorité de l’Europe sur le
reste du monde : pangermanisme, Empire britannique et
français) ou encore l’impérialisme américain.
Le
nationalisme agressif, dominateur donnera naissance à
l’Empire japonais, soviétique ou américain : l’absolu
de la nation a ainsi engendré l’absolu de la
puissance.
La fin des années 80 a vu la désagrégation des régimes
communistes européens et la résurgence du fait
national.
Cette résurgence résulte de la
disparition des idéologies officielles qui étaient à
la fois facteur de mobilisation et de légitimation (le
marxisme-léninisme).
En Afrique, on assiste progressivement à la
déliquescence du modèle étatique hérité du
colonialisme, et par conséquent à l’expression des
revendications communautaires.
La région des Balkans connaît également une fièvre
nationaliste qui se manifeste par un retour au passé
glorieux comme substitut à un futur virtuel.
La revendication de droits nationaux est aussi
présente : pays baltes (Estonie, Lettonie et
Lituanie), au Tibet envahi par la Chine en
1949.
La résurgence du fait national sous une forme
agressive peut aussi s’analyser comme une réaction à
l’essor d’une civilisation de l’universel, une
résistance à l’homogénéisation culturelle portée par
la mondialisation.
Ces revendications identitaires se renforcent en
effet en période de destruction de structures
traditionnelles (structures familiales notamment).
La mondialisation économique tend à
marginaliser ceux qui n’ont pas prise sur son
évolution : la mondialisation peut produire un
phénomène de rejet, d’exclusion propice à
l’expression identitaire, à un repli et aux
crispations identitaires.
Ainsi la mondialisation porte en son sein le germe
de la dislocation, de la fragmentation qui risque
d’affaiblir l’Etat-nation.
L’émergence de
mouvements identitaires déstabilise l’Etat car porte
atteinte à la cohésion des sociétés politiques. La
mondialisation pour une civilisation universelle
risque de faire émerger une mondialisation des
particularismes (internationalisation des conflits
internes).
Le nationalisme demeure la force sociale dynamique
dans les relations internationales : nous vivons
dans un monde de « nations ».
Un autre défi est à relever est celui du « retour »
du religieux ou redécouverte du sacré.
Les grandes utopies laïques du XIX° siècle
notamment le marxisme et le libéralisme politique
n’ont pas apporté le progrès attendu : chute du
communisme et inégalités persistantes dans le cadre
d’une économie libérale de marché (fracture sociale,
exclusion sociale au sein même des pays riches !..)
; le relatif échec de ces utopies a laissé le champ
libre à toutes les formes d’expression religieuse
parfois à caractère agressif.
Comment
expliquer ce retour du religieux ?
Il faut d’abord rappeler que la visibilité
actuelle des religions voire l’exagération du
facteur religieux s’inscrit dans un contexte
particulier marqué par la fin de la guerre
froide.
Durant cette période dite de la guerre froide,
tout conflit ou tension sur la scène
internationale était perçu comme l’affrontement
entre l’Est et l’Ouest, le facteur religieux était
occulté (alors que certains conflits pouvaient
s’expliquer par le facteur religieux (Inde
–Pakistan en 1947, conflit israëlo-arabe dès 1948,
Iran-Irak entre 1980 et 1988…), ce d’autant plus
que dominaient la philosophie matérialiste (le
marxisme voulant éradiquer les religions
considérées comme l’opium du peuple) et la
philosophie hédoniste (société de consommation
voulant substituer les nourritures terrestres aux
nourritures spirituelles, « le désenchantement du
monde » selon Max Weber).
Cette lecture des relations internationales en
termes d’antagonisme Est/Ouest fondée sur ces
philosophies conduisait à voir en certains
conflits un affrontement caché entre URSS et
Etats-Unis (conflits périphériques) ou bien, selon
une lecture marxiste, une lutte de classes entre
dominants et dominés comme par exemple les guerres
civiles en Irlande du Nord, au Biafra, au Liban,
Soudan, aux Philippines, conflits qui souvent
opposaient des populations de religion différente
!
C’est vers la fin des années 70 qu’est évoqué ce
prétendu retour du religieux, années marquées par
une crise économique certes mais aussi une crise
des valeurs et de sens.
C’est dans ce
contexte que s’affirme les grandes religions, en
particulier le Catholicisme, le Judaïsme et
l’Islam, religions qui affichent leur vocation à
l’universel.
Les valeurs religieuses deviennent une référence
pour une partie croissante de la population
mondiale.
Certains chefs religieux et
Eglises se fixent des projets politiques et
sociaux fondées sur ces valeurs, devenant ainsi
des acteurs de la vie internationale.
Ainsi en 1978 le pontificat de Jean Paul II, son
premier voyage en Pologne en juin 1979 et son
soutien au syndicat Solidarité, rôle du pape qui
influencera en partie la chute du communisme à
l’Est ; également le rôle des églises
protestantes dans la chute du Mur de Berlin.
Ainsi le facteur religieux a joué un
certain rôle dans la chute des régimes
totalitaires, régimes justement fondés sur la
négation même de toute transcendance
!
En janvier 1979 éclate la révolution khomeiniste
en Iran, événement qui renforce la visibilité du
Sacré dans les relations internationales ;
l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en
décembre 1979 qui voit l’émergence de
l’islamisme sunnite suscité par la CIA, l’Arabie
saoudite et les services secrets pakistanais
pour contrer la montée de l’islamisme chiite ;
on relève enfin l’annexion de Jérusalem par
Israël en juillet 1980, événement qui voit
l’émergence du terme « guerre sainte » ou «
djihad », terme entré dans le langage courant
mais jamais sérieusement défini voire
compris.
Ainsi ce prétendu retour du religieux n’est
qu’un simple retour des choses, une simple
redécouverte d’une dimension de l’homme occultée
jusque-là par le phénomène de sécularisation de
nos sociétés modernes : la religion vient
combler un vide idéologique causé par la
disparition de la compétition idéologique qui
donnait sens aux relations internationales, à
savoir la compétition entre l’Est et
l’Ouest.
Cela explique que la religion tend à devenir un complément à l’identité nationale : orthodoxie en Russie et Serbie, catholicisme en Croatie, le shintoïsme au Japon ; on peut en ce sens parler d’une fonction politique de la religion : la religion va servir de vecteur de dénonciation des dysfonctionnement de l’Etat, cela se manifeste par l’appui et le soutien des églises et lieux de culte au profit des plus démunis (tradition anti-capitaliste voire anti-libérale du catholicisme, théologie de la libération en Amérique latine prônant la violence pour protéger les plus démunis, lieux de culte musulman servant de soutien et d’action sociale auprès des populations laissées pour compte voire parfois les églises (Pologne, RDA durant les années 80) ou encore les mosquées devenant les seuls foyers d’opposition au régime autoritaire en place (en Algérie durant les années 90, en Egypte par exemple…).
Le risque est que cette identité religieuse
devienne une identité exclusive, on dérive
alors vers des formes d’intégrisme.
Toutes les formes d’intégrisme ont leur point
commun dans cette volonté d’imposer par la
contrainte et parfois par la force les valeurs
qu’ils tiennent pour seules vraies. Ce repli
religieux, ce refuge identitaire à caractère
exclusivement religieux est aussi une réaction
à l’homogénéisation culturelle portée par les
différentes formes de mondialisation.
Le cas extrême est d’aboutir, au sein de
certains mouvements religieux, à prôner une
idéologie anti-occidentale pouvant déboucher
sur un recours au terrorisme.
On désigne par terroriste toute violence non étatique, en ce sens depuis 2001, les Etats-Unis dénombrent une cinquantaine d’organisations terroristes sans distinguer les guérilla (Force armée révolutionnaire de Colombie usant, ou Tigres tamouls au Sri Lanka recourant aux attentats suicides, en passant par les organisations palestiniennes luttant pour leur indépendance ou encore les organisations transnationales usant du terrorisme comme technique unique. Ex. d’organisations terroristes désignées par les USA : Al Qaïda, le Hamas palestinien, le PKK kurde, IRA d’Irlande du Nord, Kahane Chaï en Israël, ETA en Espagne, Aun Shimriko au Japon…
Parmi le terrorisme à caractère religieux, le terrorisme islamique a ceci de particulier qu’il n’y a rien à négocier (en général la violence terroriste doit déboucher sur une négociation), ces mouvements visent la chute des régimes musulmans liés aux Etats-Unis et rêvent de faire trembler les Etats-Unis : le paradoxe est que, d’une part, ce sont les Etats musulmans anti-américains qui souvent ont des opinons publiques favorables aux Américains (Iran, Irak, Liban…) et que ce sont les Etats musulmans alliés aux Etats-Unis qui connaissent des opinions publiques opposées à l’égard des Etats-Unis (Arabie saoudite, Egypte, Jordanie, Pakistan); d’autre part les Etats-Unis, avec le soutien financier de l’Arabie saoudite et le Pakistan, ont encouragé l’islamisme radical contre l’URSS durant la guerre en Afghanistan de 1979, et c’est donc par un « effet de boomerang » que ces mouvement radicaux se sont retournés contre leur ancien protecteur (le mystérieux Ben Laden a pendant longtemps servi la cause de la CIA !) :
Ce retour du boomerang a bien eu lieu : attentat contre le World Trade Center de New York en 1993, attentat éclipsé par l’attentat d’Oklahoma City de 1995 et d’Atlanta de 1996 commis par des Américains, celui d’Oklahoma city faisant plus de 200 victimes !; suivront les attentats en1995 et 1996 contre des militaires américains en Arabie saoudite et contre les ambassades américaines en Afrique orientale en 1998 : malgré ces vagues d’attentat la mesure de la menace terroriste islamiste n’a pas été prise au sérieux, les médias et le public étaient davantage occupés par l’euphorie boursière et la prospérité économique.
Le choc du 11 septembre 2001va toucher l
‘Amérique dans sa chair et révéler sa
vulnérabilité. Depuis, la lutte contre le
terrorisme islamiste devient une priorité
politique majeure. Tous les Etats ont
inscrit cette priorité dans leur agenda
politique en adoptant des lois
antiterroristes qui globalement renforcent
le contrôle sur les citoyens (écoute
téléphonique, réseau Internet…).
La
sécurité tend à primer sur la
liberté.
Le terreau de l’islamisme radical a été
implanté par l’Arabie saoudite qui depuis le
début des années 80 veut contrer l’influence
de la révolution chiite iranienne, cette
monarchie va diffuser, du Nigéria aux
Philippines, sa version d’un Islam rigoriste
et ultraconservateur qui servira de terreau
à l’islamisme radical (le courant
salafiste). L’influence indirecte de cet
islamisme politique a été un frein au
développement du monde musulman (situation
économique, place et rôle de la femme dans
la société…).
Enfin l’ambiguïté de l’Arabie saoudite est
apparue au grand jour au lendemain du 11
septembre 2001, notamment son rôle financier
considérable au plan international et
l’opacité de ses fonds qui rend la monarchie
suspecte.
Cependant cet usage de la religion à des
fins politiques intéressées ne doit pas
occulter le fait que cette hostilité d’une
minorité d’islamistes radicaux à l’égard de
l’Occident ne fonde pas un antagonisme
global opposant la majorité des musulmans à
l’Occident.
B) Le clivage Nord/Sud
On doit le terme « tiers-monde » au
démographe A. Sauvy qui en 1952 l’utilise
en référence au terme Tiers-Etat sous la
Révolution française de 1789.
Ce
terme « tiers-monde » est repris lors de
la conférence de Bandung de 1955,
conférence des pays non-alignés qui
refusaient la logique des deux blocs
Est/Ouest, conférence qui vise à
construire une nouvelle voie entre le
capitalisme (bloc de l’Ouest) et le
socialisme (bloc de l’est), cette
troisième voie conduira au clivage
Nord/Sud.
Cette vision vise à un
dialogue entre le Nord et le Sud, dialogue
qui est à repenser avec les effets d’une
globalisation économique apparue dès la
fin du XIX° siècle.
Le paradoxe de nos jours est que la
richesse côtoie la pauvreté dont
l’expression majeure est le clivage
Nord/sud mais aussi la fracture au sein
même des sociétés développées.
Inégalité dans la répartition des
richesses, inégalité devant les besoins
primaires (alimentation, eau, logement),
inégalité devant la maladie (la pandémie
du Sida), inégalité devant
l’instruction.
En 2000, sur environ 6,2 milliards
d’habitants près de 1,2 milliard de
personnes dans le monde souffre de
pauvreté extrême, la majorité se trouve en
Asie du Sud (Bengladesh, Pakistan, Inde,
plus de 500 millions), en Afrique
subsaharienne (300 millions environ) et en
Chine (environ 200 millions),
en Amérique du sud (environ 78
millions).
En 2003, on estimait que
la moitié de la population mondiale vivait
avec 2 dollars par jour alors que chaque
tête de bovin aux Etats-Unis recevait 2
dollars et demi de subvention !
On estime que 20% des pays riches se
partagent plus de 85% du PIB mondial ;
dans les pays développés on parle de
pauvreté relative (par ex. en France
ressources inférieures de 50% au revenu
médian, revenu médian estimé à environ
600 Euros par mois).
Ainsi la
montée de la pauvreté est globale,
concerne autant les pays développés que
les pays no, développés.
Face à cette situation, les réunions
internationales, notamment les
conférences de l’OMC de Seattle (1999),
de Doha (2001) et de Cancùn (2003) n’ont
pas donné de résultats probants.
En théorie, le commerce
international bénéficie à tous, mais en
pratique, les mesures protectionnistes
érigées par les pays riches (PAC dans
l’UE, protectionnisme agricole
américain...) faussent les règles
économiques du
libre-échange.
D’où un clivage Nord/Sud polarisé
sur la question agricole (c’est que
l’agriculture demeure pour les pays du
Sud un secteur vital mais aussi un
domaine où peut s’exercer leur avantage
comparatif).
D’où également une
volonté de lutter contre le libéralisme
sauvage, une meilleure régulation du
libre échangisme et le développement de
thèses favorables aux pays du sud,
thèses portées par des ONG ou groupes de
pressions regroupé dans le courant à
vocation universelle,
l’altermondialisme.
A l’inverse, l’ouverture aux échanges et aux investissements sans contrôle de l’Etat nuisent au développement (cas du Mexique).
Ces formes d’inégalité menacent la
cohésion sociale, la situation
économique et l’équilibre démographique.
Ces inégalités criantes peuvent être
sources de conflits sérieux à
l’intérieur avec un impact sur la
société internationale.
Ce
phénomène s’explique en partie par des
facteurs démographiques et
économiques.
Un autre facteur est celui de la «
mauvaise gouvernance » (Rapport 1999 du
Programme des Nations unies pour le
développement ou PNUD, « Pour un
développement à visage humain »).
Le concept de gouvernance,
notamment économique et financière,
renvoie à une demande de démocratisation
et de transparence dans les pays du
tiers monde.
Les aides au
développement deviennent des aides
conditionnées c’est-à-dire fondées sur
le respect du principe de
gouvernance.
On le voit donc notre monde est face à des défis majeurs aux effets multiples tant sur nos sociétés internes que sur la société internationale. Mais les questions et défis auxquels est confrontée la société internationale actuelle sont le produit d’une évolution historique qu’il s’agit à présent de retracer dans ses grandes lignes. L’analyse de la formation historique de la société internationale permet de comprendre le nouvel ordre international issu de la seconde guerre mondiale.
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